L'INDE

Si le yoga au sens contemporain et urbain du terme s’apparente surtout à une pratique corporelle de bien-être, son origine est plus complexe. Le musée Guimet propose une exposition dédiée aux représentations de l’ascétisme à travers 70 œuvres, surtout des miniatures indiennes et des sculptures sur bois et bronze, du Xe au XIXe siècle, empruntées aussi bien à l’hindouisme, au bouddhisme qu’à l’islam. L’Inde, en effet, a connu et connaît encore des manifestations très diverses de ce retrait du monde, peut-être dû à l’origine à la croyance en la réincarnation : l’ascétisme, en réduisant le risque de commettre de mauvaises actions, permettrait d’accéder à une renaissance plus heureuse dans sa prochaine vie.

L’exposition commence par de nombreuses figures shivaïtes, car Shiva, que l’on voit souvent assis sur une peau d’animal, sous un arbre, est le grand dieu ascète de l’hindouisme. Puis viennent des figurations de yogis, dans des postures ou des situations littéralement extraordinaires. Jean-Baptiste Tavernier, déjà, rapporte dans ses Six Voyages (1676) sa rencontre avec un personnage qui avait résolu de tenir « jusqu’à sa mort les bras levés en l’air ». Et une gravure montre un homme, levant une main nécrosée aux ongles crochus continuant de pousser. Un autre sage, Agastya, est peint buvant tranquillement l’océan pour aider les dieux à vaincre les démons dissimulés dans ses flots. Une superbe gouache du Pendjab des années 1800 montre en majesté un Corps subtil du yogi.

Une autre œuvre exceptionnelle, le Bahr al-hayat (« L’Océan de vie »), produit à Allahabad dans les toutes premières années du XVIIe siècle, conserve la représentation de 21 postures de yoga, ou asanas, dont celles du coq ou de l’embryon. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’il ait été commandé par un prince moghol, donc musulman, Salim, futur empereur Jahangir. Une gouache du milieu du XVIIe siècle le montre avec son père Akbar s’entretenant avec un soufi et un yogi en présence d’autres ascètes, hindous et musulmans. Mais la fréquentation des sages ne suffit pas à accéder au pouvoir : le prince Dara Shikoh, héritier présomptif de Shah Jahan (le fils de Jahangir), en oublia les réalités terrestres, donnant à son cadet Aurangzeb l’opportunité de lui trancher la tête pour apostasie le 30 août 1659…

Les femmes ne sont pas totalement absentes, ainsi Rabi’a al-Basri, sainte soufie du VIIIe siècle, curieusement peinte à Lucknow vers 1780 à la manière d’une Marie-Madeleine : les missionnaires chrétiens sont passés par là. Car l’exposition montre bien aussi l’intérêt ancien et continu que les Occidentaux ont porté à l’ascétisme oriental : Nicolas Fabri de Peiresc, conseiller au parlement d’Aix au début du XVIIe siècle, s’était ainsi constitué l’un des plus beaux « cabinets de curiosités » d’Europe. Il avait notamment acheté des pièces indiennes par l’intermédiaire de marchands français et portugais.

Enfin, pour attester la pérennité des pratiques ascétiques, une émouvante sculpture en céramique de Takahiro Kondo, moulée sur le corps de l’artiste, rend hommage aux 18 000 victimes du tsunami qui frappa le Japon en 2011. La cage thoracique concave montre le contrôle du souffle, indice de la méditation yogie. A vous !

A voir

Yoga. Ascètes, yogis, soufis jusqu’au 2 mai au musée des Arts asiatiques-Guimet, 6 place d’Iéna, Paris.