14 Mai 2024
Quel est le sujet de la métaphysique ?
« J’ai lu le livre de La Métaphysique (d’Aristote), sans rien y comprendre ; le dessein de son auteur devint pour moi obscur. Je l’ai relu quarante fois, de sorte que je l’ai appris par cœur. Pourtant je ne pouvais pas encore saisir ce qu’il y a là-dedans et le dessin de son auteur. Désespérant de moi-même, je me suis dit : il n’y a pas moyen de comprendre ce livre. Un jour, l’après-midi, je me trouvais au marché des livres. Un crieur tenait dans la main un volume qu’il mettait en vente ; il me l’offrit, mais, dégoûté, je l’ai refusé, croyant qu’il n’y a aucune utilité dans cette science (la métaphysique). Alors il me dit : achète-le, il est bon marché, je te le cède à 3 drachmes, et son propriétaire a besoin d’argent. Je l’ai acheté ; je me suis aperçu que c’est le livre d’Abû Nasr al-Fârâbî* intitulé Du dessin du livre de la Métaphysique [d’Aristote]**. Je suis rentré chez moi et je me pressai de le lire; et aussitôt son dessin se révéla à moi, parce que je connaissais le livre par cœur. »
Traduction de ‘Abdurrahmân Badawi, Histoire de la philosophie en Islam, Vrin, 1972, t. 2, p. 595 ss.
* Abû Nasr al-Fârâbî (872-950), cf. séance 1, « Le contexte intellectuel : (3) La falsafa
** En arabe : Fî aghrâd kitâb mâ ba‘d al-tabî‘ah
Le sujet de la métaphysique n’est pas Dieu
« On sait que chaque science a un sujet qui lui est propre. Cherchons maintenant le sujet de cette science ; quel est-il ? Si c’est l’être de Dieu - qu’Il soit exalté -, ou si ce n’est pas cela, mais que l’être de Dieu est l’une des choses que l’on recherche dans cette science ?
Nous dirons donc : il n’est pas possible que cela [Dieu] soit le sujet de la philosophie première, parce que le sujet de toute science est quelque chose dont on admet l’existence dans cette science. Ce que l’on cherche, c’est justement ses modes. (…) Or l’existence de Dieu – qu’Il soit exalté - ne peut pas être admise dans cette science comme sujet, mais elle y est recherchée. »
Métaphysique du Livre de la Guérison, Livre 1, chapitre 1, traduction de G. C. Anawati légèrement modifiée, Tome 1, Paris, Vrin, 1978, p. 87.
Examen critique de la deuxième opinion : la métaphysique permet de vérifier les principes des autres sciences
« Et tu entendais dire également qu’il y avait une véritable philosophie (falsafa bil-haqîqa) et une philosophie première, et que c’est elle qui fournit le moyen de vérifier les principes des autres sciences, et que c’est elle qui est la sagesse (al-hikma), la vérité. »
Métaphysique du Livre de la Guérison, Livre 1, chapitre 1, traduction de G. C. Anawati, Tome 1, Paris, Vrin, 1978, p. 86.
L’existant en tant qu’existant comme sujet de la métaphysique
« Il apparaît donc clairement, à partir de cet ensemble, que l’existant en tant qu’existant est quelque chose de commun à tout ceci et qu’il faut poser qu’il est le sujet de cette discipline, comme nous l’avons dit. Il en est ainsi parce qu’il n’exige pas que l’on connaisse sa quiddité et qu’on l’établisse préalablement, de sorte qu’on aurait besoin qu’une science, différente de cette science-ci, prenne en charge de mettre en évidence ce dont il s’agit. En effet il est impossible d’établir le sujet et de vérifier ce qu’est sa quiddité dans la science dont il est le sujet, mais il faut seulement admettre son existence et sa quiddité. Ainsi, le sujet premier de cette science est l’existant en tant qu’existant, et le champ de ses recherches concerne les choses qui accompagnent nécessairement l’existant en tant qu’existant, sans aucune condition.
Une partie de ces choses est pour l’existant comme sont les espèces : telles la substance, la quantité et la qualité. En effet, l’existant n’a pas besoin d’une division antérieure pour se diviser en elles. Tandis que la substance a besoin de divisions avant d’impliquer la division en homme et non-homme. Et d’autres choses sont comme les accidents propres, par exemple l’un et le multiple, la puissance et l’acte, l’universel et le particulier, le possible et le nécessaire. C’est que l’existant n’a pas besoin, pour recevoir ces accidents et pour avoir une disposition à leur égard, d’être déterminé singulièrement en existant physique, mathématique, moral ou autre. »
Métaphysique du Livre de la Guérison, Livre 1, chapitre 2, traduction de Souâd Ayada, Avicenne, Paris, Ellipses, 2002, p. 42.