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PHILOSOPHIE. Penser l'ailleurs

Variations philosophiques autour du concept d'universel

Tanabe Hajime

Tanabe Hajime. figure oubliée de la réception (méconnue) de Heidegger au Japon

by Olivier Laliberté source : http://www.philopolis.net/accueil/en/tanabe-hajime-figure-oubli%C3%A9e-de-la-r%C3%A9ception-m%C3%A9connue-de-heidegger-au-japon/ Sunday, February 8th, 15h45. Length: 60 min. Room 2.285 (Concordia)

Informed public

Abstract

« Ma formation est originellement toute philosophie, c’est pourquoi je ne suis à vrai dire ni un germaniste ni même un orientaliste, mais un philosophe poursuivant sa quête partout où l’esprit le guide. »

H. Corbin, De Heidegger à Sohravardî, l’Imam caché, L’Herne, Paris, 203, p. 175.

Tanabe Hajime Zenshu (1885-1962) est l’une des figures les plus marquantes de la philosophie japonaise. Second fondateur de l’école de Kyoto, il est le disciple et le principal critique de Nishida Kitaro (1870-1945), dont la pensée a souvent été rapprochée à celle de la phénoménologie naissante. Aussi, quand ce dernier envoya Tanabe étudier en Allemagne de 1922 à 1923, il n’est guère surprenant qu’il soit allé à la rencontre de Husserl. Toutefois, ce dernier n’exerça qu’une influence secondaire sur sa pensée. C’est plutôt le jeune Heidegger, récemment promu privatdozen qui, l’impressionna grandement. À tel point qu’à son retour, il publia une série d’articles, les premiers dédiés à sa pensée, sous le titre révélateur et clairvoyant de Nouveau tournant de la phénoménologie, la phénoménologie de la vie d’Heidegger1.

Principal responsable de l’incroyable prospérité que connut la pensée d’Heidegger au Japon, Tanabe envoya nombre de ses collaborateurs étudier auprès de lui.2 Pour cela, Heidegger lui fut toujours reconnaissant et le tint en grande estime toute sa vie.3 En 1957, il alla même jusqu’à le recommander pour l’obtention d’un doctorat honorifique de l’université de Freiburg, document qui lui fut remis in absentia en raison de sa santé déclinante.4

Par ailleurs, l’intérêt précoce de Tanabe pour l’œuvre de Heidegger se maintint jusqu’à la fin de sa vie. Il confia même à Tsujimura qu’Heidegger lui apparaissait comme étant, ni plus ni moins, le « seul penseur depuis Hegel5 ». Néanmoins, Tanabe ne se considéra jamais heideggérien et produisit une œuvre d’une grande originalité philosophique. A fortiori, selon Sugimura Yasuhiko, le développement de sa pensée peut se comprendre sous le triple prisme d’une explication constante avec la pensée de Nishida, de Hegel et de Heidegger, ce dernier étant l’objet d’une « confrontation incessante et extrêmement tendue » (Sugimura, p. 54).

Aussi, dans cette conférence, nous tâcherons de rendre compte du débat qu’il a pu entretenir toute sa vie avec la pensée d’Heidegger. Pour ce faire, nous étudierons le texte le plus emblématique de cette confrontation, soit l’article qu’il rédigea en 1959 à la demande d’Heidegger pour le Festschift de son 70e anniversaire : Ontologie de la vie ou dialectique de la mort6. Comme nous le verrons, ce texte poursuit un double objectif; d’une part, il prétend « radicaliser davantage » la philosophie de la mort d’Heidegger vers une « dialectique de la mort », et d’autre part, il se veut l’exposition d’un remède contre notre « époque de la mort » dominée par la « technique planétaire ».

Pour le dire rapidement, la thèse qu’il nous faudra rendre claire consiste à dépasser l’analytique du Dasein et son aboutissement dans l’être-pour-la-mort en proposant une véritable dialectique de la facticité, un rapport dynamique qualifié de « mort-résurrection » au terme duquel le Dasein en vient à se constituer comme radicalement pour autrui. Selon Tanabe, une telle entreprise de pensée serait la seule permettant de répondre aux préoccupations du dernier Heidegger, et ce, en tant qu’elle proposerait une pensée faisant le pont entre l’être et le néant, entre la vie et la mort, entre les morts et les vivants, pour culminer dans une sorte de « comunio sanctorio » renouvelée où « the life and relationship that are transformed into death are again transformed back into life »7, dépassant ainsi le nihilisme de notre époque.

Bibliographie

Texte de Tanabe :

Dalissier, M., Nagai, S., Sugimura, Y., philosophie japonaise : le néant, le monde et le corps, « Ontologie de la vie ou dialectique de la mort », Vrin, Paris, 2013, p. 292-313

Monographie :

Carter, R. E., The Kyoto School : An Introduction, 2013, NY, State University of New York Press.

Heisig, J., philosopher of nothingness: an essay on the Kyoto school, Honolulu, Presse de l’université d’Hawai, 2001.

Patocka, J., phénoménologie de la vie après la mort, dans « papiers phénoménologiques », éditions Jérôme Millon, 1995, 298 pages

Articles

Sugimura, Y., « Témoin assistant du néant absolu : La signification de Tanabe dans le contexte de la philosophie du témoignage », Philosophes japonais contemporains, 2010, Québec, Presses Universitaires de l’Université de Montréal.

Laube, J., Depré, O., « Sur la personne et l’œuvre de Hajime Tanabe », Revue philosophique de Louvain, 1994, Quatrième série, Tome 92, Nº 4, p. 423-429.

Tsujimura, K. « Martin Heidegger’s Thinking and Japanese Philosophy », Epoché, 2008, Vol. 12, Nº2, p. 349-357.

1 H. Tanabe, Nouveau tournant de la phénoménologie, la phénoménologie de la vie d’Heidegger, œuvre complète, volume 4. Traduction allemande J. Laube, dans Japan und Heidegger, ed. H. Buchner, sigmariengen, 1989, p. 89-108. Nous référerons maintenant aux œuvres complètes de Tanabe par le diminutif THZ

2 Parmi eux on peut compter Nishitani, Tsujimura et Yuassa, le premier traducteur de « Was its Metaphysic? » en 1930.

3 Cet extrait tiré d’une lettre adressée à Tsujimura en remerciement pour la conférence qu’il prononça à l’occasion de son 80e anniversaire témoigne du respect et de la révérence qu’Heidegger conserva à l’égard du défunt Tanabe.

I thank you and ask you to greet the Japanese Friends and, above all, your trusted teacher, Professor Nishitani, whose successor you are, and with me to treasure the memory of his teacher, Professor Tanabe, who, in 1922, when I men myself was still a beginner, came to Freiburg where I tried to familiarize him with the basic feature and methods of “phenomenological thinking.” He became Japan’s most significant thinker [nous soulignons] and died a solitary man in the mountains, probably in the manner as you have just sketched it. [Tsujimura: « on his death-bed, a simple Japanese said to those around him: “I am dying now, just as the leaves fall in the autumn” »].

Tiré de K, Tsujimura, Martin Heidegger’s Thinking and Japanese philosophy, p. 356

4 J. Heisig, Philosopher of Nothingness, p.110.

5 K, Tsujimura, op cit, p. 350

6 Ontologie de la vie ou dialectique de la mort, trad. Sugimura Yasuhiko, œuvre complète, Tokyo, Chikuma, 1963-1964. Té XIII, p. 525-576. Nous référerons à partir de maintenant aux œuvres complètes par le diminutif THZ et à ce texte par OD.

7 J. Heisig, Philosopher of Nothingness, p. 110.

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